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Le film apparaît comme une fable.

Arthur Joffé
Le mode de récit de la fable, du conte « Il était une fois » est à l'origine de ce qu'on appelle une histoire. Raconter une histoire au sens presque où un enfant la demande à ses parents. Il y a un aspect parabolique qui s'éloigne nécessairement de la réalité. Cette forme de récit me séduit particulièrement car on échappe aux contraintes du quotidien qui nous empêche de prendre de la distance par rapport à
la vraie histoire de nos émotions. La seule histoire à mon sens qui compte vraiment dans nos vies. C'est un mode narratif qui tout en s'émancipant de la réalité, permet de s'approcher davantage d'une vérité profonde, intime, donc rejoint le réel. C'est ce que j'apprécie particulièrement dans le travail scénaristique d'un Tim Burton par exemple ou dans celui de Roberto Begnini. On le voit peu dans le cinéma français dont la tradition est davantage réaliste. Mes films précédents étaient également
construits sur ce mode de récit. La fable et la comédie.

Le thème du film est la Parole, le besoin de parler entre un fils et son père.

A. J.
… Oui, cette frustration de ne pas avoir assez parlé à un être aimé qui n'est plus. Ce dialogue interrompu brutalement, j’ai imaginé de le poursuivre en dépit de la mort, du silence insupportable de l'autre. C’est en cela que le cinéma sous la forme du conte nous offrent cette possibilité du magique. Je pense que ce dialogue « impossible » chacun peut le poursuivre en cas de deuil. Faire son deuil c'est cela. Mais en accomplissant un travail intérieur. En dialoguant avec un soi-même profond, qui est en fait cette voix que nous a laissé en mémoire celui ou celle qui est parti. On a ce « téléphone » en soi. Et c’est un peu ce que le film raconte. J’ai écrit ce film très pontanément sous l'effet du deuil long et difficile que j'ai vécu, suite à la mort de mon propre père.

C’est aussi la transmission entre trois générations.

A. J.
Tant qu'on n’a pas trouvé l'entente, il faut poursuivre le dialogue, l'échange. Tant qu'on ne s’est pas mis d’accord profondément et intimement avec les gens qui nous ont mis au monde, c’est très difficile de trouver l'équilibre intérieur suffisant et donc la disponibilité nécessaire pour écouter son propre enfant et répondre à ses demandes. C'est dans ces réponses que se loge la transmission d'une énération à une autre.

C’est l’histoire d’un fils qui arrive à dire « Je t’aime » à son père, et un père qui arrive à l’entendre.

A. J.
En effet, faire la paix avec son père c'est faire la paix avec soi. C'est essentiel d'arriver à cela au bout du chemin. Arriver à dire cet amour que nous inspire ce lien absolument existentiel.

Dans cette fable, il y a la parole mais aussi l’argent.
A. J.
Bien sûr l’argent, parce que forcément tout ça coûte ! C'est terrible à dire mais aujourd'hui plus que jamais la parole est devenue tarifée ou s'il elle ne l'est pas elle ne veut rien dire. Les télécoms se nourrissent de la solitude que crée le monde occidental moderne. Les gens ont tellement besoin de communiquer entre eux pour sortir de leur isolement mental, physique ou économique, ce qui souvent est lié, qu'ils sont prêts à se ruiner pour parler au téléphone à quelqu'un. C’est aussi l’argent qu’on donne au psychanalyste chez qui le temps de parole est compté. C’est la valeur attribuée au mot, c’est le prix de la parole. Le temps qu’on passe à parler de soi coûte. On attribue de
la valeur à ce qu’on dit et au temps passé. C’est un rituel important en psychanalyse, qui reste tout à fait valable, mais qui aujourd'hui à
complètement débordé du strict cadre de la séance entre l'analysé et l'analysant. Le jour où j’avais parlé de ce projet de film à mon analyste, il a rit et il m’a dit : « Mais vous parlez merveilleusement de notre métier ! ». Je lui ai répondu : « Ah ! je dois être dans
le vrai alors ! ».
Le film raconte l’itinéraire d’un personnage. Il est professeur, il est marié, tout semble aller bien… Puis, tout bascule.

A. J.
Il y a une déchéance. C’est un personnage qui doit tellement payer de sa personne pour pouvoir parler à son père mort, Il est tellement hanté, que forcément la cellule familiale dans laquelle il vit, explose. Parce qu’on ne peut pas être hanté à ce point-là et conserver son cadre social et familial. Forcément, çà désagrège tout. Le monde alentour finit par disparaître. C’est comme une tornade qui s'abat.
Rien n'existe plus que son obsession. Comme une névrose qui éclate...

« Le retour du refoulé ».

A. J.
Exactement. C’est un état de crise quasiment volcanique. Une éruption mentale, une tornade ! Tout y passe ! Un vrai sujet de comédie !

En même temps, c’est un parcours initiatique…

A. J.
Félix Mandel doit tout perdre, un peu comme le Job de la genèse à qui il ne reste plus que la peau sur les os. Un dénuement qui lui permet d'accéder à un dialogue gratuit mais essentiel avec son père. C'est seulement à partir de ce moment-là qu'il arrive au bout de son voyage, qu'il peut reprendre le contact avec le monde.

Dans ce parcours, il y a une scène avec les téfilins. Qu’est-ce que c’est exactement ? Vous l’avez inventé ?

A. J.
Au cours de l’écriture du script j'en viens à la visite de Félix au rabbin. Mon personnage joue un homme d’origine juive, qui n’est pas pratiquant du tout mais qui est tellement désespéré par ce qui lui arrive, tellement dépassé, qu’il a recours au rabbin, un recours ultime. En écrivant les dialogues de cette scène et en imaginant le rabbin, m’est venu automatiquement ces fameux téfilins. C’est un très bel objet rituel qui figure le lien de l'esprit et du cœur avec Dieu. Au fil de la plume et sans préméditation, je me suis aperçu que téfilin et téléphone avaient une sorte de consonance... J’ai trouvé ça étonnant ! Je me suis aperçu que je touchais à quelque chose de fort et de drôle dans l'ordre du symbolique. Quand les mots se répondent, il y a un sens. A condition de ne pas préméditer ce sens, à condition de se laisser aller au plaisir de la découverte. Et les tefilins m’ont indiqué le chemin jusqu’à la fin du film : La parole libérée de son coût.
Le rabbin est joué par Maurice Bernart, qui était le producteur d’ Alberto Express … Ce film est une suite d’Alberto Express.
A. J.
Oui, il y a une filiation dans les films, aussi ! C’est une suite thématique. Alberto Express était une fable sur la dette au père. Pour que la femme de Alberto puisse donner naissance à son premier enfant, il devait rembourser à son père les frais de son éducation. C’était un rituel... Alberto Express, était une comédie sur la naissance. Ne quittez pas ! est une comédie sur le deuil.
Il y a aussi un lien avec le spirituel qu’il y avait au centre du sujet de Que la lumière soit ! comédie sur le cinéma considéré comme un art divin. Ne quittez pas ! est une forme de synthèse de mes deux films précédents. Le dialogue avec l’invisible, la spiritualité me passionne non pas au plan religieux mais au plan philosophique et psychanalytique. Je trouve que c’est une mine de sens et de rêves.

Après vos deux films précédents, le thème du père vous obsédait toujours…

A. J.
Oui, ce n'était pas fini. La sortie de Que la lumière soit ! dédié à la mémoire de mon père a été totalement éclipsée. J'en ai beaucoup souffert. Mais j'ai refusé de « passer à autre chose » comme certains me l'avaient suggéré. Le fameux « n'en parlons plus » formule consacrée quand quelque chose dérange quelque part, je ne l'ai pas écouté et j'ai poursuivi mon chemin en écrivant Ne quittez pas ! Je suis persuadé qu'un auteur de films se doit de rester fidèle aux sujets qui comptent vraiment pour lui, quelles que soient les difficultés qu'il rencontre pour s'exprimer. C'est à ce prix qu'il finit un jour par être entendu.

Et le choix de Sergio Castellitto ?

A. J.
Le choix de Sergio Castellitto représente le véritable lien artistique de la trilogie. Sergio est un complice depuis Alberto Express. C’est ce film qui l’a fait connaître en France. Nous avions eu beaucoup de joie à travailler ensemble. Tant et si bien qu'on n’arrivait plus à se séparer l'un de l'autre malgré les années Bien sûr, Sergio a joué dans plein d'autres films à la suite de Alberto Express en France, en Italie aux Etats-Unis et en Allemagne. Mais a chaque fois on se retrouvait autour de mes scénarios. Quand j’essayais de penser à un acteur français je n’arrivais pas à trouver véritablement celui qui pouvait représenter le personnage que je cherchais. Ce mélange de fantaisie,
de candeur et d'émotion sans peur du ridicule, sans peur pour son image. Il faut être sacrément virtuose et généreux pour tenir tout un film sur le fil du rasoir. Sergio est un immense acteur d'envergure internationale, de la classe d'un Dustin Hoffman. Avec, à mon sens, plus de générosité dans son jeu. Ce qui compte vraiment entre un acteur et un metteur en scène c'est la confiance. Et c'est grâce à cette confiance mutuelle, ce respect que chacun a pour le travail de l'autre qu'on peut aller loin, parfois au-delà des limites de ce qui est convenu. Je pense à la scène dans la cabine téléphonique par exemple.

Ce qu’il y a de très étonnant dans ce film, c’est le ton profondément original. Ce ton si singulier, est dans tous vos films.
A. J.
C'est une question de plaisir. Il y a une réelle jubilation à inventer une histoire, une scène, un dialogue, avec un angle ou un ton inédit. Je n'essaie pas d'être original à tout prix, car l'important est de rester sincère même dans la fantaisie la plus totale. C’est original, et en même temps, c’est une vision du monde magnifique.

C’est une belle idée, cette idée de dialogue avec nos morts, avec l’au-delà…

A. J.
Bien sûr il y a Hamlet ! Mais je n'y ai pas pensé ! C’est quand j’ai vu le téléphone que mon père m’avais laissé et que j’avais installé chez moi, je me suis dit : « Tiens, je vais décrocher et puis je vais l’appeler ! » C’était un truc tout à fait spontané. Donc, l’idée m’est tombée dessus. J’en ai discuté avec Guy Zilberstein et j’ai écris en deux mois. Ça répondait à un vrai besoin.

Et vous permettait d’aller plus loin…
A. J.
Oui, parce que j’aurais très bien pu traiter ce sujet sur le deuil de façon réaliste. En décrivant une pathologie et ses symptômes, en montrant un personnage qui est pris par quelque chose qui l’écrase… Mais ça ne me libère pas, ça ne m’amuse pas, je trouve
qu’on ne raconte rien. Il faut oser aller plus loin. Faire un pas de plus et entrer dans la comédie et la fable. Ne plus pouvoir parler à l’être aimé c’est ce qu’il y a de plus dur à supporter; ou simplement quand on a quelque chose à dire; ne plus pouvoir le dire au destinataire, c’est extrêmement douloureux. C’est ça la base du deuil, c’est qu’on a encore des choses à faire, à dire, à échanger et c’est plus
possible, c’est intolérable. Et donc, voilà, le cinéma peut servir à ça. C’est un remède.

Ce qu’il y a d’étonnant chez vous c’est que votre sensibilité passe par la comédie.

A. J.
Oui, c’est très important dans le film. Sans être systématique, je trouve que plus un sujet est grave, même tragique, ce qui est le cas de Ne quittez pas ! plus il faut essayer d'en sourire et d'en rire parfois. C’est une tentative d’élégance morale.

Le film est vraiment drôle…

A. J.
Cela fait partie de mon boulot de cinéaste d’apporter au public quelque chose de personnel, mais en même temps qui le distrait et l’amuse. Ce n’est pas parce que c’est personnel que je vais leur prendre la tête et les ennuyer. Je n’ai pas peur d’employer le mot distraire. Quand on s'amuse et qu’on est ému par une histoire au cinéma c'est qu'on y appris un peu quelque chose. Pour moi il n'y a jamais eu antinomie entre la transmission du sens, d'une pensée, d'une réflexion, et le plaisir du spectateur. Quand on envoie une lettre à uelqu’un, on veut que ce soit agréable à lire. Et le rire est un médium de communication absolument extraordinaire et très noble. Mais je ne me suis pas forcé à être drôle. Quand on rit, on va mieux, c'est aussi simple que cela.

Avec un scénario aussi singulier qui passe du rire aux larmes, avez vous trouvé un producteur facilement?

A. J.
Cela n'a pas été évident. Il a fallu être patient; certains s'y sont interessés mais n'ont pas eu le cran d'aller jusqu'au bout. Jusqu'au jour où une amie commune à organisé une rencontre entre Margaret Menegoz et moi. Je lui ai donné à lire le texte de Ne quittez pas ! et peu de temps après elle m'annonçait sa décision de produire. Ce sujet pourtant personnel avait beaucoup plu à Margaret sans doute parce qu'elle avait senti une sincérité derrière la comédie et sans doute aussi parce que son histoire quelque part croisait la mienne. Il ne faut jamais oublié que la personne qui produit un film est tout d'abord quelqu'un qui souhaite, tout comme l'auteur, raconter quelque chose avant d'être la personne qui trouve l'argent. J'ai trouvé en Margaret une productrice très rigoureuse au plan artistique et douée d'une capacité de travail hallucinante à tout les stades de la fabrication du film. C'est très rassurant pour un metteur en scène, surtout quand il s'expose personnellement dans l'histoire qu'il tourne.

Vous avez été invité à un congrès de psychanalystes... Ils ont dit que ce film était important. Pourquoi ?

A. J.
C’est Alain Didier Weill, ex-collaborateur de Jacques Lacan qui a vu le film et qui était très touché. Il a dit simplement que le fait d’oser imaginer un dialogue gratuit avec le père, c’est à dire un dialogue direct au delà de la mort, qui finalement arrive à ne plus être tarifé, est tout a fait libérateur. Un dialogue enfin gratuit et libre, et pourtant plein de sens. C’est en ça que Alain Didier Weill a rendu hommage au film, devant tous ces travailleurs de l’inconscient. C’était impressionnant !

Finalement, qu’est-ce ce que père mort transmet à ce fils vivant ?

A. J.
Un traumatisme majeur, mais surtout
un désir de vivre au delà de tout.

Les acteurs

La bio d'Arthur Joffe


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